L'appel du Large
Jean-Michel Gerin, cheveu poivre et sel,
paillettes dans l'œil, déambule en souplesse dans le dédale de
ses chais, avec un sourire étonné et le regard malicieux de celui
qui, mine de rien, dévoile sous vos yeux l'œuvre de sa vie. Oui,
une œuvre, en vrai, au présent, et en évolution constante,
construite pas à pas depuis 1983, et surtout depuis ces premières
bouteilles de 1987, qui balisent sa mémoire comme autant de gestes
jetés au bord du chemin. A l'époque, avec moins de trois hectares,
c'était un pari fou, une aventure dont personne ne pouvait prévoir
l'issue. Il a fallu acquérir les parcelles une à une, remonter les
murets de pierre suspendus dans les pentes abruptes, stabiliser les
chaillées (les sols en terrasses) et créer des vins comme on
sculpte dans le marbre. A l'inspiration, au sentiment, à la force
des bras, dès le premier jour convaincu que ces vignobles de syrah
(huit hectares aujourd'hui) puis de viognier (deux hectares)
étaient prédestinés à tutoyer les dieux. Superbe intuition. Le
Côte Rôtie vit depuis quinze ans un authentique âge d'or et
Jean-Michel Gerin est bien l'un de ceux qui a révélé au grand
jour ces vins de feu et de soie.
Aujourd'hui, la cave Gerin, monument coloré qui trône au cœur du
village d'Ampuis, est bien l'un des phares de l'appellation Côte Rôtie (mais aussi Condrieu), les joyaux légués par le Rhône, ici
à l'aube de son flamboyant périple au pays des grands vins. Chez
les Gerin, tout est équilibre, rigueur, élégance, et on pressent
l'influence de Monique, épouse discrète, omniprésente. Ces
étiquettes au graphisme élancé, bleu profond qui évoque le grand
large, l'au-delà du Rhône et de son estuaire, sont à elles seules
signature, et miroir. Et Jean-Michel le fou de rugby, lui qui sait
mieux que personne que tout talent individuel ne peut se révéler
que dans le partage ou l'échange, dans la solidarité, célèbre à
sa manière le compagnonnage de ses pairs de Rhône Vignobles, la
belle équipe. Ils l'ont grandi, ils lui ont ouvert le monde, pas
moins.
La preuve ? Cette aventure en Priorat, dans l'un des beaux vignobles
de Catalogne sud, où il vit " une histoire folle, magique
" avec Daniel (Combier) et Peter (Fischer), devenus frères de
flibuste. Ses yeux pétillent, il rit, comme un gosse, exhibe
l'étiquette de leur première cuvée à la manière d'un trophée.
" Trio infernal " le bien-nommé. Aventure humaine.
Histoire d'amitié. " On voulait tenter quelque chose ailleurs,
ensemble, et on a trouvé des vignes splendides en Priorat. C'est un
don du ciel, ce truc-là ". Et lui qui caracole sur les
hauteurs de son appellation, depuis des années, et qui aurait pu
jouer les blasés, ou les notables, semble avoir redécouvert
l'enthousiasme d'avant, la fraîcheur du débutant. Avec ce groupe
d'abord informel, devenu au fil des ans, de moments puis de voyages
ou de projets communs, une famille, Jean-Michel Gerin a retrouvé
l'énergie, la rage, la soif de son adolescence. Relié aux autres.
Stimulé par eux. Bonifié.
ll s'éloigne à grands pas, plaisante, essaie de donner le change.
Dans une alcôve intime, chaleureuse, sa cave personnelle, celle où
on reçoit les proches, on croit entendre le joyeux tumulte de
moments de grâce. Ne pas trop se prendre au sérieux. Vivre.
Bosser. Exiger plus encore, et d'abord de soi-même. Dialoguer.
Rêver à plusieurs. Apprendre. Et poursuivre pas à pas, jour
après jour, au fil de parcelles magiques (Les Grandes Places, la
Landonne) la quête de vins plus soyeux, plus profonds, plus
sincères que jamais. Comme épurés. Des vins qui justifient tout.
Des vins qui éblouissent.
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